Avant...
Avant, nos aïeux firent la guerre de 70, nos pères , jeunes, celle de 14, où tombèrent presque tous nos paysans, vint ensuite, dès 36, la guerre civile en Espagne, dont la sauvagerie ensanglanta ce pays magnifique ; s'ensuivirent la guerre mondiale 39-45, avec son cortège d'abominations racistes, plus les conflits coloniaux, Indochine et Algérie, où je dus porter les armes. Mon grand-père échappa aux débâcles de Sedan, les gaz délétères blessèrent mon père au milieu des bombes de Verdun, je dus finir l'expédition de Suez... de sorte que, pendant un siècle, ma famile et moi connûmes la guerre, la guerre, la guerre. De ma naissance à l'âge adulte, mon corps se forma, bras et jambes, coeur et cerveau, de guerre, de guerre, de guerre. Depuis lors, nous vécûmes soixante-cinq ans de paix, ce qui n'était point arrivé, en Europe occidentale du moins, depuis L'Iliade ou la Pax Romana. Les générations de guerre, les miennes, préparèrent et réalisèrent ces six à sept décennies, plus heureuses que les bains de sang d'antan. Or le calme de la paix incite à l'oubli, alors que le bruit et la fureur des conflits ne quittent jamais le souvenir. Villes et hameaux leur dressent même des monuments aux morts, aux listes insoutenables. Grand-Papa Ronchon souffrirait-il de lacunes commémoratives ? Ne passe-t-il jamais sur la place des villages vides désormais ? La paix d'aujourd'hui, est-ce moins divertissant que ces guerres d'antan ?