ne pas haïr...
Ô vous frères humains, connaissez vous la joie de ne pas haïr ?
Oui, frères, ne plus haïr, par pitié et fraternité de pitié et humble bonté de pitié, ne plus haïr importe plus que l'amour du prochain.
Ne pas haïr importe plus que l'illusoire amour du prochain, imaginaire amour, mensonge à soi-même, amour dilué, esthétique amour tout d'apparat, léger amour à tous donné, et c'est à dire à personne, amour indifférent, angélique cantique, théâtrale déclaration, amour de soi et quête d'une présomptueuse sainteté, vanité et poursuite du vent, dangereux amour mainteneur d'injustice, stérile amour qui au long de deux mille années n'a empêché ni les guerres et leurs tueries, ni les bûchers de l'inquisition, ni les pogroms, ni l'énorme assassinat allemand, ô affreuse coexistence de l'amour du prochain et de la haine.
Ô vous, frères humains, vous qui pour si peu de temps remuez, immobiles bientôt et à jamais compassés et muets en vos raides décès, ayez pitié de vos frères en la mort, et sans plus prétendre les aimer du dérisoire amour du prochain. amour sans sérieux, amour de paroles, amour dont nous avons longuement goûté au cours des siècles et nous savons ce qu'il vaut, bornez vous, sérieux enfin, à ne plus haïr vos frères en la mort.
Ainsi dit un homme du haut de sa mort prochaine.
( " Ô vous frères humains " d'Albert Cohen )