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fourtoulitterofilosoficopoeticomic
7 décembre 2015

Les marathoniens de la conjugalité...

 
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Ils formaient un de ces couples étranges, sans charme particulier, possédant cependant cette grâce visible au premier regard, qui donnait à croire qu'ils étaient destinés l'un à l'autre de toute éternité. Dans le bonheur ou l'adversité, on les sentait soudés, prêts à s'épauler. Leur fréquentation me fit, alors, longuement réfléchir sur la teneur des rapports qu'un homme et une femme peuvent entretenir. Je me demandais si le temps était une colle-ciment ou au contraire un ferment, si l'indulgence gagnait en ferveur ce que les corps et les rêves perdaient en vigueur, si la confiance, l'estime, le respect suppléaient aux métastases de l'ennui et du quotidien. Peut-être, finalement, se résignait-on, après avoir été de jeunes amants, à devenir de vieux amis. Peut-être aussi était-il rassurant de savoir que cette main qui, il y a si longtemps, vous avait dessillé, serait, un jour, celle qui vous fermerait les yeux. L'apaisement venait-il de croire que l'on possédait l'autre, que l'essentiel était acquis et que l'on partageait ainsi une assurance-vie ? Y avait-il un érotisme fécond à retrouver ce corps que l'on savait par cœur, que l'on connaissait comme si on l'avait fait ? Sans doute. Mais à l'inverse, je ne pouvais m'empêcher de penser que ceux qui duraient ainsi ensemble ne s'accrochaient que pour éviter d'avoir à affronter la solitude de leur propre reflet. Comparaître devant la glace, nu, comme un détenu, répondre à toutes les questions que l'on n'a jamais osé se poser, s'examiner, de la peau jusqu'au fond des os, et se juger pour ce que l'on vaut.
Il faut un certain courage pour dresser le compte de ses échecs, de ses déceptions et recommencer quelque chose avec soi-même. Il faut aussi pas mal de vaillance pour déterrer sa dignité, ne pas céder à la panique et faire bonne figure, seul, perdu quelque part au milieu de sa vie.
A l'époque, je ne demandais qu'à croire à la sincérité de ces couples éternels. Je n'avais aucune qualité pour les juger. J'essayais cependant d'imaginer la nature de leur intimité. A quoi songeait-il lorsque, pour la première fois, elle allait uriner en négligeant de fermer derrière elle la porte des toilettes ? Que ressentait-il en entendant ce bruit qui le mettait mal à l'aise et auquel il sentait confusément qu'il allait devoir s'habituer ? Prenait-il soudain conscience qu'une époque de sa vie se terminait, que par cette porte des commodités entrouverte s'était introduite une forme de malheur, de renoncement, que lorsque l'on acceptait de se vider ainsi devant l'autre, c'est que l'autre était déjà oublié, que l'on se sentait presque veuve et résolue à bien d'autres petites morts ?
Et elle, qu'avait-elle en tête en le voyant affalé sur le canapé, désabusé, mal rasé, fatigué, avec son haleine négligée, ses dent usées et ses pupilles lavées de toute passion, rivées sur la télévision ? J'imaginais la voix intérieure de cette femme :
-- Nous sommes là, toi et moi, en train de regarder des choses misérables, sans nous adresser la moindre parole, oubliant même la présence de l'autre. Si une caméra filmait le vide de nos regards et l'ennui de nos visages, si nous étions ensuite confrontés à notre image sur l'écran, je crois que nous baisserions les yeux de honte et de peur. Oui, nous aurions peur de voir ce que nous sommes devenus --
J'avais au fond de moi la conviction que bon nombre de couples se parlaient de la sorte, silencieusement, n'échangeant à longueur de journée que des requêtes muettes. Leurs mots ne passaient jamais la barre des lèvres, mais restaient enfouis, entassés comme des pierres au fond de leur gorge. Ils se taisaient parce que la vérité devenait indicible, qu'il était trop tard pour revenir en arrière, accepter de reconnaître que l'on avait fait fausse route pendant si longtemps et accompli tout ce chemin pour rien.
L'essentiel était d'aller loin par n'importe quel moyen. Durer, tenir, s'accrocher à son unique monture jusqu'à user ses flancs. Pour franchir d'inhumaines distances, en serrant les maxillaires comme des marathoniens de la conjugalité, en fermant les yeux, en écartant parfois les jambes. Les couples pouvaient durer ainsi pendant des siècles. Ils possédaient l'aveugle vigueur des pousses de bambou. Ils ne vieillissaient pas, le temps les revigorait. Ils existaient séparément, l'un à côté de l'autre, chacun, bien sûr, rêvant à d'autres.
L'étude attentive du couple se rapproche beaucoup du travail de l'entomologiste observant la vie des abeilles. C'est une illusion de croire qu'un homme et une femme puissent constituer une entité gémellaire ou complémentaire. Au mieux, ils représentent deux forces antagonistes qui se neutralisent. Au pire, une paire bancale où le plus fort phagocyte le plus faible...
 
( " Je pense à autre chose " de Jean Paul Dubois )
 
Photo : Signoret et Gabin dans " Le chat " / https://flickbyflick.wordpress.com/
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Commentaires
T
Pas lu. Mais Bazin et sa " vipère au point " c'était déjà piquant et venimeux...<br /> <br /> la façon dont il parle de sa mère laisse penser qu'il ne doit pas être très tendre envers les couples et leurs familles... j'imagine que son analyse doit être cinglante.<br /> <br /> Bien amicalement, chère Agnès...
A
je suis en train de lire le Matrimoine d'Hervé Bazin ! y'à des petites perles sur la vie de couple et de la famille qui l'entoure ;)<br /> <br /> bonne soirée<br /> <br /> agnès
F
Salut mon papy.depuis le temps!.finis overblog alors?<br /> <br /> Passe dire bonjour à fiston via mail.<br /> <br /> Jules renard est le meilleur...je te salues bien.
A
Quelle noirceur... Je suis bien désolée de ne pas être en couple pour pouvoir vous crier : "Non, ce n'est pas vrai !". Heureusement que je sais nager toute seule :) Bonne journée, les amis.
L
quel constat !!!... ça ferait presque peur !!... <br /> <br /> ... m'en fous j'sais nager na aussi !!! :o :o
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