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fourtoulitterofilosoficopoeticomic
6 janvier 2015

par l'oculus...

 
Dans ma chambre d'hôpital à Paris, il n'y a pas grand chose pour se distraire. Je ne peux pas atteindre le bouton qui change la position de mon lit et j'ai des scrupules à appuyer sur celui pour appeler les infirmières, toujours différentes. La nuit, une lumière blafarde bave à travers une sorte de hublot. Un drôle de rond que je vois ovale la plupart du temps, un trou d'eau rigide creusé dans la porte. Je ne suis pas dans un bateau, et je sais qu'il y a un autre mot pour appeler ce type de fenêtre. Impossible de m'en rappeler. La nuit, la peur domine. La journée, c'est la douleur qui l'emporte. J'ai l'impression d'avoir " mal au sang ". C'est ce que j'ai répondu au médecin, à mon arrivée dans son service, lorsqu'il m'a demandé d'essayer de définir comment je me sentais. Et je guette les visiteurs. Par le hublot. Qui n'en est pas un. Mardi, il est passé de bonne heure pour m'annoncer qu'on allait faire une trêve dans le traitement. Pour voir. " Pour voir quoi ? " ai-je failli demander avant de me raviser. J'ai été con : puisqu'il parait que le ridicule ne tue pas, j'aurais dû lui poser la question. Mettre cette maigre chance de mon côté. Tentative infructueuse finalement. Jeudi, à l'heure du déjeuner, on m'a câblé de partout. Morphine direct. Depuis, il se passe un truc, c'est certain. Je souffre moins. Ou différemment. Je ressens comme une sorte d'engourdissement qui m'accable et m'apaise à la fois. C'est plus fort que moi : depuis que je suis gosse, je ne suis ni très rapide pour prendre une décision ni capable d'exprimer clairement ce que je ressens. " Faudrait savoir " m'a toujours seriné ma mère. J'ai l'impression d'être entartré comme une cafetière, de supporter toute la misère du immonde... Et puis, je n'arrête pas de me revoir enfant. C'est quoi cette arnaque ? Il parait que lorsqu'on est sur le point de mourir, on voit sa vie défiler à toute vitesse. Que dalle. Je ne distingue qu'une seule image de moi. Un bambin qui ramasse des " pierres précieuses " sur la plage du Havre. Ces morceaux de verre polis par la mer et le contact avec les galets, dont les gosses d'ici remplissent leurs poches. Un trésor qu'ils dissimulent ensuite dans un pot de moutarde. Qui pique les souvenirs et fait rouler de grosses larmes sur les joues des parents rendus orphelins par le départ de leur progéniture, lorsqu'ils retrouvent le bocal sous leur lit, dans la boite de ces après-skis devenus trop petits, donnés à contre cœur au fils des voisins. Un soir de fin d'adolescence où il s'est rêvé en homme plus fort que les autres, leur grand y aura également remisé ses autres trophées de petit : le Flocon rapporté des premiers sports d'hiver, des diapositives de la conquête spatiale trouvées dans les boites de camembert, le brevet de cinquante mètres brasse décerné par le maître nageur, bourru mais finalement sympa, de la piscine municipale, un paquet d'images de footballeurs en double, voire en triple, comprimées par un gros élastique, l'album des joueurs à moitié vide, et puis l'inévitable herbier avec ce pauvre bouton-d'or tout desséché, crucifié à la seule page utilisée par de méchants bouts de Scotch. Et, la morphine aidant, j'en trouve plein, de ces petits cailloux, verts le plus souvent, à peine translucides. Les poches de mon short sont lourdes et je peine à marcher vers cet homme qui fume près de la digue en regardant au loin. Mon père ? On dirait bien. Je presse le pas sans parvenir à me rapprocher de lui. Plus j'avance, plus il se confond avec cette muraille gris foncé, construite pour tenir tête aux bravades de la Manche.
" Papa ! Pa-pa ! C'est moi, ton fils. Regarde le trésor que j'ai ramassé pour toi. Ne fais pas attention aux murs blêmes, au lit en fer, à ce graphique qui dégringole. T'as vu, il y en a de toutes les formes, celui-là, on dirait presque un T, la première lettre de mon prénom... il est beau, hein ? S'il te plait, ne t'en va pas. "
Je cours vers lui qui disparaît sans me voir, aspiré par le sable de ma mémoire.
" Hé ! T'en fais pas, c'est rien. C'est bien moi qui suis couché là. Le docteur va t'expliquer. Aïe ! Ca fait mal, mais c'est pas grave. c'est juste les cailloux, dans mes poches, qui me battent les cuisses. C'est ce sang qui me joue un tour, mais tu sais, je suis fort. Je vais m'en tirer, surtout si tu reviens. Et maman serait tellement contente. Tu vas voir, elle n'a pas beaucoup changé... "
Ma mère est assise près de moi. Elle me tient la main. Dit que j'ai dormi presque deux heures d'affilée et qu'elle était bien, là, à me regarder. Je me tourne un peu et j'aperçois le hublot. Je demande si quelqu'un est passé pendant mon sommeil, si Christophe est venu. Elle me confirme que non. Elle croit savoir que l'enregistrement de son disque s'achève la semaine prochaine. Elle propose de l'appeler pour qu'il passe avant. Dit qu'il risque de m'en vouloir d'avoir préféré qu'on ne l'informe pas de mon hospitalisation. Comme si je l'ignorais. Mais je sais me tenir. Et depuis qu'on est amis, ses priorités sont un peu les miennes. Un peu beaucoup même. Au point que je ne risquais pas de lui téléphoner pour dire : " Oui, c'est moi, ton pote dont les jours sont comptés. J'appelais juste pour te demander d'arrêter momentanément l'enregistrement de ce disque que tu rêves de faire depuis que tu es môme, pour venir me regarder grimacer sur mon lit de douleur. "
Pas le genre de ma maison. Par contre, pour être tout à fait honnête, ça ne m'aurait pas déplu que ça vienne de lui. Qu'il cherche à me joindre. On lui aurait expliqué la situation, il se serait certainement pointé illico. Mais je me suis arrangé pour que même Claire ne sache rien. Elle est en pleine période d'examens, et vu que depuis qu'on la connaît, elle étudie surtout le cinéma de François Truffaut et les us et coutumes de la jeunesse rennaise entre le coucher du soleil et les premières lueurs de l'aube, j'imagine qu'elle va devoir sacrément cravacher pour s'en sortir en Lettres Modernes. Mais c'est vrai que je le guette, par le hubl... par l'oculus ! Ca y est ! Ca m'est enfin revenu. Je guette Christophe par l'oculus. En vain, comme dans la chanson des Rolling Stones.
Vous allez rire, mais je n'ai rien senti en mourant. Je suis un peu parti comme une lettre à la poste. Je n'ai pas fait un pli. D'accord c'est de l'humour gris. Mais franchement, il n'y a pas de quoi être triste. Je souffrais, non ? Eh bien voilà, c'est fini, je ne souffre plus.
 
 
( " Je suis mort il y a vingt-cinq ans "
      de Jérôme Soligny )
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Commentaires
T
Claudel. ?<br /> <br /> Fais pas ca, misérable... T'es maso !
P
Bin si ça, ça te donne pas envie de lire....faut reprendre le Claudel .. Grrrrr
T
Heureux de te lire après cette courte absence, néanmoins longue pour nous, mon Ami.... alors, Santé, Bonheur pour la nouvelle année 2015, mes meilleurs voeux à partager avec Madame... et de superbes photos Nuits et Jours pour le marcheur à la casquette...
P
Salut Thierry<br /> <br /> Me revoilà quelques jours dans le 9-1, je me suis requinqué les poumons dans les embouteillages, des sauvages de la route . mais bon j'suis là et c'est l'essentiel non ! <br /> <br /> et il n'est pas trop tard pour te souhaiter ainsi que ta famille une année de rêves santé argent et Gloire .<br /> <br /> Bonne semaine
L
excellent choix de lecture, au mois d'Août, j'ai "attaqué" ce livre un après-midi vers 14h00....... je ne l'ai refermé qu'une fois terminé !....... je me suis laissé envouter par ce récit très poignant !!!<br /> <br /> aussi, c'est un livre que je recommande !!!
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  • Ce blog poursuit mes aventures vécues sur mon premier blog " Mongenie " aujourd'hui disparu " corps et âme "... Pour en découvrir le profil philosophique et les motivations, cliquer sur ma photo.
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