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fourtoulitterofilosoficopoeticomic
14 mars 2017

au nom du peuple...

 

Brexiters, trumpistes et lepénistes ont ceci en commun qu’ils assurent incarner « le peuple ». A leurs yeux, c’est un gage de bonté naturelle et d’exceptionnelle légitimité démocratique. Cette qualité autodistribuée a l’avantage de repousser « les autres » dans l’ignoble catégorie des «élites » que l’on sait attachées au malheur dudit peuple. Ainsi va la rhétorique électorale de part etd’autre de l’Atlantique en ce premier tiers de XXIe siècle. Personne ne sait trop ce que recouvre « le peuple », cette entité mythique dont les partis et les candidats protestataires se disent les représentants exclusifs. Le Petit Robert ne nous aide guère, quiparle d’un « ensemble d’êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes et d’institutions ». On pourrait imaginer plus précis. Mais enfin, le fait est là, « le peuple » a rarement été autant sollicité. Les temps s’y prêtent – lendemains d’une crise financière partie de Wall Street qui a ravagé la vie de dizaines de millions de gens ; développement massif des inégalités ; univers économique de plus en plus concurrentiel ; flux migratoires bouleversant l’environnement immédiat des plus défavorisés dans nos sociétés. Marine Le Pen, Donald Trump et, aujourd’hui encore, les chefs brexiters truffent leurs discours de cette référence au « peuple ». Ils se posent en insurgés antisystème. Ils sont la voix des recalés de la mondialisation. Ils ont détourné à leur profit le vieux thème marxiste de la lutte des classes. Discours dangereux. Il suppose d’entretenir la détestation de l’autre camp : si j’incarne « le peuple», mes opposants sont « les ennemis du peuple ». Les Le Pen, Trump et Nigel Farage (mousquetaire en chef de la campagne Brexit) sont allés au-delà de la dénonciation des élites. Ils s’en prennent à certains des gardiens de l’Etat de droit (magistrats, fonctionnaires) et aux journalistes. Tous publiquement désignés à la vindicte du « peuple ». Un vent mauvais souffle. Trump accuse la presse d’être « l’ennemie du peuple » et, dans le groupe des traîtres, l’excellent New York Times figure en première ligne. L’un des éditorialistes du quotidien, Roger Cohen, rappelait cette semaine « le pedigree totalitaire presque parfait » de l’expression «ennemis du peuple » : elle a trouvé « ses débouchés les plus accomplis avec les nazis, Staline et Mao », écrit Cohen. Le Financial Times rapporte que des juges et des journalistes aux Etats-Unis commencent à recevoir des menaces de mort. Curieuse référence économique, le peuple. A quel niveau de revenu passe-t- on dans la famille des «élites » ? Sort-on du « peuple » en s’enrichissant ? Y retourne-t- on en se ruinant ? Imprécise référence électorale, en tout cas. Les plus pauvres des Américains ont voté Hillary Clinton. Le Brexit n’aurait pas rallié la majorité sans l’appui des riches retraités du sud de l’Angleterre. La clientèle Front national du sud de la France est souvent aisée, celle du Nord, pauvre. Un large spectre de « minorités » Pourtant, la référence au « peuple » dit quelque chose des sociétés occidentales. Elles sont souvent sans pitié pour les laissés-pour- compte de la mondialisation. La marginalisation n’est pas forcément économique, elle est d’abord culturelle. Le politiquement correct ne pousse pas la générosité jusqu’à défendre un large spectre de « minorités » : recalés de la révolution numérique, banlieusards chassés du centre des villes, agriculteurs écrabouillés par la grande distribution, professeurs prolétarisés, tous ceux qu’un environnement médiatique insupportable de jeunisme et de suffisance narcissique relègue en classe « ringards ». Brillant politologue de l’université de Cambridge, David Runciman s’interroge : que recouvre aujourd’hui l’incantatoire référence au « peuple » ? Dans le quotidien The Guardian, en octobre 2016, il observe que le déterminant le plus sûr du vote Brexit comme du vote Trump ou Le Pen est le niveau d’éducation – en gros, ceux qui ont été à l’université et les autres. Ce critère ne recoupe pas forcément celui de la richesse : l’électorat Trump compte nombre de riches entrepreneurs. Il n’oppose pas « le savoir à l’ignorance », dit encore M. Runciman, mais il détermine deux représentations du monde de plus en plus antagonistes. Si le niveau d’éducation devient la vraie ligne de fracture dans nos sociétés, nous ferons face à une «double aliénation » : « les moins éduqués jugeront qu’ils sont dirigés par des experts snobs ignorant tout de leur vie ; les diplômés trembleront à l’idée que leur avenir puisse être décidé par des ignares, imperméables à la façon dont le monde marche vraiment ». Ce fossé-là peut être plus profond et plus toxique que celui qui sépare riches et pauvres car il est lesté, de part et d’autre, d’un sentiment de supériorité. L’une et l’autre incestueuses, les deux tribus se connaissent de moins en moins, les uns en ville, les autres ailleurs, séparés par le périphérique et l’incompréhension mutuelle. Les maraudeurs de la politique exploitent cette fracture. Cyniques et hypocrites, ils appartiennent à l’élite, mais en appellent au « peuple ». Les ténors du Brexit, Nigel Farage et Boris Johnson en tête,habitent les mêmes quartiers que leurs adversaires. Ils ont fait les mêmes études, passent leurs vacances en Grèce, souvent grassement payés par Rupert Murdoch, l’homme qui a juré la perte de l’Union européenne. Trump a hérité de 240 millions de dollars à la naissance et, même à la Maison Blanche, il se refuse à rendre publique sa déclaration d’impôts. Mme Le Pen a, elle aussi, hérité d’une confortable aisance ainsi que d’une affaire familiale, en l’espèce un parti, qu’elle s’occupe à faire fructifier. Ils n’ont aucune légitimité particulière à parler au nom du « peuple ».

( Alain Frachon / Le Monde )

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Commentaires
H
même constat ! :-(
L
houla !!!..... trop long à lire...... on verra ça, sans se prendre la tête, devant une assiette !!! :o<br /> <br /> à+ min Pé ! :o
fourtoulitterofilosoficopoeticomic
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fourtoulitterofilosoficopoeticomic
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