Les jours de fête après la guerre...
Les jours de fête après la guerre, dans la lenteur interminable des repas, sortait du néant et prenait forme le temps déjà commencé , celui que semblaient quelquefois fixer les parents quand ils oubliaient de nous répondre, les yeux dans le vague, le temps où l'on n'était pas, où l'on ne sera jamais, le temps d'avant. Les voix mêlées des convives composaient le grand récit des événements collectifs, auxquels, à force, on croirait avoir assisté. Ils n'en avaient jamais assez de raconter l'hiver 42, glacial, la faim et le rutabaga, le ravitaillement et les bons de tabac, les bombardements, l'aurore boréale qui avait annoncé la guerre, les bicyclettes et les carrioles sur les routes à la débâcle, les boutiques pillées, les sinistrés fouillant les décombres à la recherche de leurs photos et de leur argent, l'arrivée des Allemands--chacun situait précisément où--dans quelle ville--, les Anglais toujours corrects, les Américains sans-gêne, les collabos, le voisin dans la Résistance, la fille X tondue à la Libération, Le Havre rasé, où il ne restait plus rien, le marché noir, la propagande, les boches en fuite traversant la Seine à Caudebec sur des chevaux crevés, la paysanne qui lâche un gros pet dans un compartiment de train où se trouvent des Allemands et proclame à la cantonade --si on peut pas leur dire on va leur faire sentir. Sur fonds commun de faim et de peur, tout se racontait sur le mode du--nous--et du--on.